La corruption n’a rien d’un vieux film en noir et blanc. Elle se glisse dans les “petits arrangements” du quotidien : un cadeau trop généreux, une invitation qui tombe juste avant un appel d’offres, une « facilitation » suggérée par une autorité locale. À la clé : réputation écornée, décisions biaisées, sanctions lourdes. La bonne nouvelle ? La prévention s’organise. Bien menée, elle protège les personnes, l’entreprise… et son image sur le long terme.
La Loi Sapin II (Sapin 2) ne traque pas la convivialité, elle trace la frontière. La corruption active survient quand quelqu’un offre ou promet un avantage indû en échange d’une contrepartie ; la corruption passive apparaît quand cet avantage est sollicité ou accepté. L’« avantage » ne se limite pas à l’argent : repas, voyages, invitations VIP, cadeaux, informations sensibles, promesse d’embauche d’un proche… Se former, c’est acquérir un réflexe simple : distinguer une hospitalité d’usage — modérée, déclarée, transparente — de tout ce qui altère l’impartialité d’une décision.
Règle d’or : ce que vous ne pourriez pas assumer publiquement et par écrit a de grandes chances d’être un problème.
Un cadre efficace commence par des notions claires. La corruption touche tous les pays et toutes les tailles d’organisation, et se relie à d’autres risques : conflits d’intérêts, trafic d’influence, favoritisme, prise illégale d’intérêts. La conformité ne vit pas dans les textes ; elle se joue dans des scènes ordinaires où une décision peut basculer. L’enjeu est d’installer des repères lisibles qui guident l’action, pas de réciter le code.
Les achats s’exposent quand une mise en concurrence se trouve biaisée par une affinité non déclarée. Les ventes dérapent à coups de remises « exceptionnelles » ou d’avantages cachés. Les marchés publics et appels d’offres concentrent les tensions, tout comme certains recrutements « recommandés ». Les intermédiaires (agents, consultants) créent des chaînes de responsabilité où l’opacité s’installe. Les signaux faibles sont connus : cadeau disproportionné, pression temporelle, paiement de facilitation, accès injustifié à des données sensibles. Pris isolément, ils paraissent anodins ; mis bout à bout, ils dessinent un risque réel.
Les sanctions financières peuvent se chiffrer en centaines de millions, mais ce n’est qu’une partie de la facture. L’exclusion de marchés publics, la rupture de confiance avec clients, partenaires et investisseurs, l’usure interne et l’érosion de la marque employeur pèsent durablement. Dix ans après une condamnation, l’ombre réputationnelle demeure. La lutte anticorruption est donc un sujet de performance autant que de conformité.
Dans le doute, on ne joue pas les équilibristes. On déclare systématiquement les cadeaux et invitations — même modestes — dans un registre cadeaux & hospitalité. On refuse tout paiement de facilitation non prévu par la loi. On ne partage jamais d’informations confidentielles hors cadre. On demande conseil (manager, conformité) et on documente toute décision sensible. Un canal d’alerte interne clair, connu et rassurant change la donne : il protège les personnes et l’entreprise, et accélère la résolution des situations grises.
Le candidat qui vous invite en VIP à Wimbledon, l’« installation » de lignes téléphoniques qui réclame une « contribution », le client qui conditionne des contrats à l’embauche d’un proche… Ces scènes ne sont pas théoriques. Elles montrent, en quelques secondes, la frontière entre une courtoisie acceptable et un avantage indu. La formation gagne ici : des cas concrets, des scripts de refus élégants, des décisions traçables.
Un code de conduite empoussiéré ne protège personne. Sans processus d’alerte opérationnel, sans registre des cadeaux, sans traçabilité des arbitrages, la politique anticorruption reste incantatoire. Autre confusion : prendre la conformité pour l’alpha et l’oméga. La loi fixe un minimum ; l’éthique des affaires pose la question qui compte : que devrions-nous faire ici et maintenant ? Enfin, les « petits cadeaux » non déclarés finissent toujours par coûter cher : la tolérance zéro n’est pas de la rigidité, c’est de la prévention.
La lutte anticorruption n’est pas l’apanage des juristes, c’est l’affaire de tous. En clarifiant les notions (actif/passif, avantage indu), en repérant les situations à risque, en outillant les équipes (registre, alerte, modèles) et en cultivant la traçabilité, vous réduisez drastiquement le risque et renforcez la confiance. La Loi Sapin II n’est pas une contrainte de plus : c’est un cadre qui aide à mieux décider, à protéger la marque et à performer durablement.


