08/01/2018

Yann Gourvennec : Le marketing digital dans la peau !

Pionnier du marketing digital, Yann Gourvennec est passé maître dans l’art de mettre sur pied des stratégies Web et de décoder l’e-business et la communication web. Auteur du très réussi visionarymarketing.com, il a également été membre de socialmedia.org de 2008 à 2013. Avec Hervé Kabla, il a publié 4 livres dans la collection « à mon boss » aux éditions Kawa. Rencontre avec un hyperactif mordu de Web !

🧠Tu sillonnes le web depuis longtemps, peux-tu nous raconter de parcours ?

En effet, cette année sera ma 23e année en tant que professionnel du Web. On approche donc du quart du siècle et je dois dire que mon enthousiasme ne fléchit pas tant les opportunités sont nombreuses dans ce domaine qui se renouvelle sans cesse... J'ai commencé par une activité commerciale comme tous les élèves qui sortent d’école de commerce. Assez rapidement, j'ai intégré un des plus grands informaticiens mondiaux de la fin des années 80 (Unisys) où j'ai pris la responsabilité de la conception et de la coordination des systèmes d'information marketing d'abord pour la France puis pour l'Europe.

C'est au cours de ce passage que j'ai découvert le Web, en Angleterre. De retour en France je me suis mis vite à travailler moi-même sur le sujet (il n'y avait pas d'école sur ce thème à l'époque). J'ai acheté des ouvrages sur le HTML et j’ai appris à construire des sites Web moi-même.

Dès 1996 j’ai commencé à créer des sites de content marketing pour Unisys et pour mes clients. J’ai passé ensuite quelques années chez Capgemini avant de repasser côté client en tant que directeur e-business dans le groupe France Telecom devenu ensuite Orange. Je suis sorti d'Orange en 2014 pour créer mon agence de Web marketing. Quatre ans plus tard, nous avons travaillé avec plus de 70 clients dans les domaines du contenu, du conseil, de la formation et des audits du capital Web, essentiellement pour les marchés B2B et les offres complexes.

🚨Tu es aujourd'hui à la tête de Visionary Marketing, quelles sont les grandes tendances que tu observes en matière de communication ?

D'abord, que le content marketing ne cesse de gagner en popularité. Certes, pour moi ce n'est pas nouveau puisque j'en fais depuis très longtemps, mais on observe un véritable engouement à tel point que le JDNet a même prédit que ce sujet serait prioritaire pour les marques en 2018.

Nous avons lancé récemment une étude autour de l'acquisition et la fidélisation clients pour le compte de Weber Stephen France, dans laquelle nous avons interviewé 323 professionnels du marketing en activité. Une chose qui m'a frappé, c'est que quand nous les avons interrogés sur leurs méthodes d'acquisition et de fidélisation préférées, les marketeurs interviewés ont tous placé le content marketing parmi les premiers leviers du marketing client.

Pour ce qui est du B2B, il est même considéré comme le levier privilégié. Cette grande tendance va imposer aux entreprises de 2018 un travail dans plusieurs directions fondamentales :

D'abord, les entreprises vont devoir (re)donner un sens à leur communication au travers de ce marketing de contenu et aller au-delà de la technique SEO (indissociable d’un contenu de qualité). Faire du contenu n'est pas seulement une opération à court terme pour gagner en référencement. C’est au contraire un travail de fond qui consiste à changer son marketing. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai créé Visionary Marketing : pas pour faire du contenu ou produire des textes, mais au travers du content marketing, changer la façon dont les entreprises communiquent et font du marketing.

Ensuite apprendre à travailler avec des micro influencers dans une logique d'égal à égal, et de co-construction. Sortir de ces réflexes de marketeurs bas de gamme qui consistent à « acheter » sans transparence des influenceurs qui vont placer des produits ou des avis de façon illégale.

Ceci n'a aucun sens et aucune efficacité et a provoqué des dérives qui font que les influenceurs en question se font payer des sommes incroyables pour ne rien faire ou presque. On souffre beaucoup moins de ce phénomène de starification dans le B2B, heureusement, et les relations y sont beaucoup plus saines et plus éthiques. Dans les relations des marques avec les influenceurs, notamment dans le grand public, je vois beaucoup trop peu d'imagination et beaucoup trop d'argent.

Dans un exemple récent lié au ecommerce j’ai vu des programmes d’influence gérés comme des programmes à la performance où on met la pression sur les responsables marketing pour que le ROI soit conséquent et en constante progression. En fait, ces marketeurs immatures confondent les démarches de performance et le marketing d’influence, qu’ils transforment en marketing sous influence. Non seulement il s’agit d’une dérive méthodologique mais surtout éthique et même légale. En fin de compte, cette démarche n’a aucun sens ni aucun avenir. Il faut donc inverser cette tendance et travailler dans l’éthique et la réciprocité, c’est la seule démarche possible.

Ensuite, le dernier rapport de Forrester a mis un nouveau pied dans la fourmilière de la publicité. 2017 a été la première année où les budgets publicitaires ont baissé alors que la croissance revenait. Les impacts sur les résultats des grands groupes publicitaires ont été sévères. Ceux-ci sont entrés dans une fuite en avant où ils essaient de se transformer en SSII alors que les SSII, qui cherchent aussi des relais de croissance, se positionnent également sur la communication. Je ne suis pas forcément convaincu de ce mélange des genres, révélateur tout de même d’un sérieux problème de modèle économique.

Cette situation est inédite dans l'histoire du marketing. Cela devrait envoyer un message clair et net aux marketeurs. Il est impérieux de retrouver le goût et la logique marketing du bouche-à-oreille et de l'inventivité, au détriment des logiques publicitaires de promotion massive. Encore une fois, en B2B, on est protégé de ce phénomène vu que les budgets publicitaires sont relativement faibles. En fin de compte, cela nous oblige à faire montre d’inventivité.

Enfin, les marques doivent reprendre en main leur capital digital. Après avoir déclaré que le site Web était mort, que les blogs étaient morts, aujourd'hui les marques se rendent compte de la faiblesse extrême des taux « d'engagement » sur les médias sociaux, mais aussi de la dépendance dans laquelle elles se trouvent par rapport à des plates-formes qu'elles ne maîtrisent pas. Il faut donc apprendre à jouer de ces outils et s’appuyer sur les utilisateurs comme des alliés et non pas seulement comme des cibles (le mot est horrible) dont le seul objectif est d'écouter votre publicité.

En d’autres termes il faut redécouvrir l’UGC et la co-construction. La plupart des marketeurs n’ont rien compris aux médias sociaux qu’ils ont confondu avec le bouche à oreille alors qu’ils n’en sont qu’un des instruments. Certes le plus visible, mais ce n’est qu’un outil qu’ils ont pris pour une panacée au point de leur consacrer des sommes incroyables (jusque 300k€ sur une semaine en publicité Facebook pour une grande marque française que je ne nommerai pas. Quelle opération géniale peut-elle justifier une pareille dépense ?).

🌈Tu a été un des pionniers de la WebTV, quel est ton regard sur le boom des contenus vidéo ?

C'est vrai que je fais de la WebTV depuis 1999, ce qui doit certainement me placer dans les plus anciens de ce domaine. Pour autant, le paysage est contrasté et j’éviterais les jugements a l’emporte pièce sur ce terrain extrêmement délicat et complexe.

Les expériences que j'ai menées avec Orange Business Services, il y a 10 ans, sur la création de la WebTV Orange–business.tv a montré qu’il était beaucoup plus facile d'être original à l'époque qu’aujourd'hui. Générer du trafic avec des vidéos peut paraître simple, mais ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de science exacte dans ce domaine. Ici je m'exprime uniquement pour l'aspect des entreprises je n'aurai pas d'avis sur les YouTubers ou assimilés, qui sont un phénomène intéressant certainement d'un point de vue sociologique mais qui ne nous concernent pas tellement.

Je pense que les marques utilisent encore trop peu ce médium et surtout qu'elles n'ont pas compris qu’il devait être utilisé sur un format essai/erreur. Bien trop souvent je vois des marques dépenser trop d'argent sur les vidéos pour fabriquer des objets visuels qui tirent sur la perfection, mais qui finalement ne l'atteignent jamais, alors que la spontanéité, et le contenu généré par l'utilisateur sont certainement les choses les plus intéressantes à faire dans ce domaine.

La vidéo live a connu aussi un bon départ il y a un ou deux ans mais cela semble fléchir un peu. En fait, avec les vidéos on est face à un paradoxe : c’est un médium qui est très attractif et qui marche très bien dans certains cas avec certaines personnes qui les utilisent particulièrement bien, et surtout un effet de trompe-l'œil avec des vidéos vedettes (comme le Epic Split de Jean Claude Vandamme pour Volvo) qui peuvent coûter jusqu’à plusieurs millions d'euros pour une série. C’est normal, du fait que leur succès n'est pas complètement indissociable du montant publicitaire investi dans leur promotion.

En B2B, la plupart des entreprises n'ont pas les moyens de se payer ce genre de choses et les ambitions restent modestes. Je crois que la WebTV a été un peu survendue, comme beaucoup trop de choses en marketing, et que beaucoup de marques ont du mal à s'ajuster à ce médium qui reste encore très nettement sous utilisé par les entreprises. Je pense que des progrès peuvent donc être encore faits de façon considérable avec cet outil qui aujourd'hui reste encore un peu cher alors que nos téléphones sont devenus des caméras 4K !

Je garde donc tous mes espoirs ! Simplement, notamment en B2B, nous sommes handicapés par la toute puissance de YouTube. YouTube est relativement mal vu en entreprise, car les contenus y sont mélangés et peu d’entreprises veulent voir leurs contenus au milieu des lol cats ou de contenus bas de gamme. Sans parler des entreprises qui bloquent encore les vidéos en streaming. Tout ceci ralentit le développement de la WebTV en B2B car il manque une plateforme universelle et ouverte qui respecte les règles attendues par la profession.

🤗Une enquête de la BPI révèle que près de 40 % des dirigeants demeurent sceptiques face à la nécessité de mettre en place une transformation digitale. Comment inverser la vapeur ?

Tout simplement en arrêtant de parler de transformation digitale. La plupart des entreprises n'ont pas besoin de transformation digitale. Elles ont besoin d'utiliser le digital pour être plus efficaces dans leur métier et améliorer leur expérience client. En dehors de l'expérience client, rien ne compte. Le digital n'est qu'un outil et si on ne comprend pas cela on va tout droit à l'échec.

Si l’on cherche à faire du digital pour du digital, on distribue des tablettes partout, on multiplie les projets informatiques et les budgets somptuaires sur le digital pour donner le change et faire de la communication. Mais si l'expérience client n'est pas améliorée par ces efforts, alors on est passé à côté de quelque chose de fondamental.

Il y a quatre ans, j'ai donné une interview pour les Échos et j’y disais que « les CEO, c'était pour la comm » et l'avenir ne m'a pas donné tort, avec la grosse vague de nettoyage qui a eu lieu l'année dernière. Trop souvent, on considère le digital comme la dernière roue du carrosse, comme un outil de communication, un pur objet de mode, pour lequel il est nécessaire de montrer qu’on est dans le coup afin d’éviter de passer pour un ringard.

Mais en fait, ces outils digitaux sont essentiels pour le business, il faut les maîtriser à fond. Et comme tous les outils qu'on maîtrise à fond, savoir prendre beaucoup de recul par rapport à eux. Ils n'ont d'intérêt que par rapport à ce qu'ils permettent, aucun intérêt en eux-mêmes, il faut abandonner à tout prix cette vision de technolâtres qui consiste à idolâtrer la technologie !

C'est ce malentendu qui est à l'origine de beaucoup d’échecs. Pour bien comprendre comment utiliser la technologie correctement, il faut se débarrasser de ses préjugés mais surtout ne jamais oublier son objectif principal.

La conclusion à cette question finalement, c’est qu'il n'y a pas à être sceptique il y a juste à essayer à mettre en place des outils de façon pragmatique ! Tout cela nécessite, une bonne expertise et une connaissance de la technologie - et de son application et de sa mise en œuvre et de son intégration - pour pouvoir prendre du recul. Exactement de la même manière que je mettais en œuvre des SI pour les commerciaux et les marketeurs au début de ma carrière. Ce métier d’ « implementeur » est un vrai métier. N’importe qui ne peut s’imposer dans ce domaine. Il requiert de vraies compétences et aussi de vraies capacités d’intuition et de savoir faire en conduite du changement ! Or, trop souvent, on nomme aux postes digitaux des gens qui, bien que fort compétents, sont trop loin de la technologie et qui croient, à tort, qu'elle est miraculeuse.

🌟Quels sont tes prédictions de développement pour 2018 ?

Quand j'ai créé Visionary Marketing, nous sortions, en 2013, de ce que je croyais être le fond de la crise. Je me suis trompé à ce sujet puisque celle-ci a continué de sévir pendant encore quatre ans. Nous avons désormais touché le fond de la piscine. Et je sais que les entreprises, comme la mienne, qui se lancent au moment des grandes crises, si elles réussissent à trouver leur public, continuent à se développer par la suite.

Il y a un énorme besoin en content marketing mais aussi en accompagnement digital et également en formation, dans notre pays et dans le reste du monde. Je pense donc que nous n'allons pas nous ennuyer en 2018 et au moins pour les quatre ans qui viennent.

Une autre de mes prédictions, pour mon deuxième métier qui est celui de l'enseignement, est que nous allons connaître une inflexion en termes de formation à distance. Voilà quelques années qu'on essaie de nous convaincre que l’avenir est à la formation à distance au travers de MOOCs, mais cela ne fonctionne pas. L'attirance du public pour l'autoformation est trop faible et la plupart des organismes de formation n'y trouvent pas leur compte non plus en termes de business model. Ça ne peut pas fonctionner. Cela ne correspond pas non plus au désir de formation des nombreuses personnes que je rencontre dans les écoles où j’enseigne, notamment sur le campus parisien de Grenoble école de management pour laquelle je suis directeur de programme du Master spécialisé international en stratégie digitale.

Le besoin de nos apprenants est un besoin d’accompagnement et de coaching et de contact avec des professionnels. Pas seulement de formation. Je crois donc à un développement futur du distanciel, ou présentiel à distance. J'envisage un projet dans ce domaine qui soit progressif et qui permette de nous amener, au but de la formation, à un mode de plus en plus exhaustif de présentiel à distance.

Je ne vois pas celui-ci comme un remplacement de la formation présentielle. Je la vois au contraire comme un complément pour les personnes qui sont déjà en formation et qui désirent approfondir par elles-mêmes, et aussi pour des populations plus lointaines, notamment dans les pays en voie de développement, d'accéder à des formations européennes en anglais de haute qualité, à distance, sans avoir à se déplacer ni à changer de pays ou d'obtenir de visas. L'ensemble de ces perspectives me fait penser que nous aurons beaucoup de travail dans les années qui viennent, ce qui me réjouit particulièrement.


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